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11 avril 2015 6 11 /04 /avril /2015 10:21

"Je ne vous ai pas dit que j'avais vos yeux. J'ai dit que j'en avais d'autres."

Jacques Lusseyran

C'est par cette citation que s'ouvre le roman de Jérôme Garcin "Le Voyant". Ce roman célèbre la rencontre de deux hommes, Jérôme Garcin écrivain et critique littéraire et Jacques Lusseyran, héros de la résistance aveugle par accident et mort prématurément.

Lorsqu'entre 2009 et 2012 les deux principaux écrits de Jacques Lusseyran sont édités grâce aux soins de sa fille Claire, "Et la lumière fut" et "Le monde commence aujourd'hui" Jérôme Garcin les découvre, et il avoue être traversé d'émotions contradictoires, entre admiration sans bornes et doute. Le récit semble trop exemplaire pour être vrai, un cas de résilience exceptionnel qui l'impressionne au point qu'il écrit : "Je crois bien que dans ma vie je n'ai jamais été absorbé si longtemps par un texte." et il ajoute: "Lire Lusseyran, c'était réapprendre à lire, comme on dit réapprendre à voir, après une opération de la cataracte". Voilà comment Garcin fait la connaissance de Lusseyran.

Il va enquêter, être scandalisé qu'une vie aussi exemplaire soit ignorée de la postérité, en France tout du moins, "Le voyant" c'est pour lui un devoir de réhabilitation, celle d'un héros méconnu.

"Rien, pas l'once d'une plainte, pas l'ombre d'un regret, pas trace d'une quelconque amertume, pas la moindre colère, pas non plus de protestation, et jamais de jalousie. Aucun sentiment bas, nulle révolte vaine. Au contraire, une paix avec soi-même, une harmonie avec le monde, une équanimité souterraine, un optimisme ravageur, une vaillance hors norme, une foi d'airain et même une manière de gratitude pour le destin qui, en le privant de ses yeux, en lui ayant refusé le spectacle de la beauté à l'âge des premiers émerveillements, développa chez lui ce qu'il nommait le regard intérieur."

C'est un véritable coup de foudre entre l'écrivain et son sujet. Le livre de Jérôme Garcin dit à chaque page l'admiration de l'auteur pour cet homme devenu aveugle à l'âge de 8 ans dans une stupide bousculade à l'école et qui a comme une sorte de révélation, Jacques Lusseyran ne se vit pas comme un aveugle. Cet accident l'a fait basculer dans un monde lumineux où il voit beaucoup mieux que n'importe lequel d'entre nous. Pour lui nos yeux nous rendent aveugles.

Jérôme Garcin n'a pas écrit une biographie classique mais ce n'est pas pour autant une hagiographie. Il nous fait le portrait d'un être d'exception qui a fait de sa cécité une force et une chance. Son handicap lui a permis d'appréhender le monde et les êtres dans ce qu'ils ont d'essentiel et de fort. L'auteur évoque aussi des aspects plus sombres de la vie de Lusseyran, il nous parle de ce qu'il nomme "l'angle mort" de la vie de son héros, l'existence de ses enfants dont il ne s'est pas occupé et qui sont totalement absents de son oeuvre.

La vie de Lusseyran est un long combat, la cécité, la guerre, la résistance, l'émigration, ces combats ont nourri son oeuvre qui mérite vraiment d'être lue.

Pour conclure, arrêtons-nous quelques instants sur les choix de Jérôme Garcin. Depuis Jean Prévost, résistant mort au combat, en passant par son père éditeur mort à 45ans et jusqu'à Olivier son jumeau décédé à 7ans dans un accident, l'auteur s'attache à rèssuciter ces vies fauchées afin qu'elles ne tombent pas dans l'oubli.

"Une fois encore, une fois de plus, je pense à mon père, né à Paris quatre ans après Jacques Lusseyran, passé lui aussi par la Khâgne de Louis-le-Grand, fou de littérature, amoureux de la langue du XVIIIè siècle, éditeur accompli, mais écrivain empêché, dont la mort accidentelle en pleine nature, au printemps 1973 à l'âge de quarante cinq ans, dessine une ligne droite que je n'aurai jamais fini de vouloir prolonger dans des livres brefs peuplés de jeunes morts qui continuent de vivre, de lire et d'écrire."

Quittons-nous en évoquant à nouveau Jacques Lusseyran, il revient de Buchenwald, mais une stupide loi vichyste lui interdit d'enseigner car il est handicapé. Les américains vont offrir à celui qu'ils appellent "The Blind Hero of the French Resistance" la chaire d'enseignant dont il rêve.

Mais le destin veille et la mort le cueillera sur une route de Loire-Atlantique lors de ses vacances en France en 1971. La vie est passée mais grâce à Jérôme Garcin la lumière persiste.

LE VOYANT de Jérôme Garcin -
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